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13 janvier 2007 6 13 /01 /janvier /2007 00:00

Pourquoi ce type ne cesse de me suivre?

Par moments j’ai l’impression de l’avoir semé. C’est là qu’il ressurgit de nulle part.

A voix basse, mais sans colère, il m’accuse de cette horreur.

C’est vous qui l’avez tué, murmure-t-il.

Il parle de son enfant.

Je continue ma route en accélérant le pas. Je ne sais comment il fait, mais passé le coin de la rue, il est de nouveau là, devant moi.

Maintenant, il me devance.

Il ressemble au père de David, le petit camarade d’Antoine. Mais ce n’est qu’une ressemblance. Ce ne peut pas être lui. Je ne pense pas.

C’est un meurtre, murmure-t-il.

Son visage est impassible. Il ne semble pas en colère. Je ne le comprends pas. Je ne comprends pas son absence de hargne. Au moins d’indignation.

Sans ralentir mon pas je l’esquive.

Vous avez tué mon enfant lance-t-il derrière moi.

Je tourne dès que je peux. En tentant de le perdre dans cette ville labyrinthique je risque moi-même de m’égarer.

Il est déjà là qui m’attend appuyé sur le mur, reprenant son souffle comme quelqu’un qui a couru.

Comment a-t-il fait pour me devancer?

Il a deviné le chemin que j’allais prendre, comme si il lisait dans mes pensées.

Il ne dit rien, je suis encore trop loin de lui. Je sens sa bouche prête à déborder de ces ignobles accusations qu’il va déverser sur mon passage.

Il n’y a pas d’échappatoire, pas d’issue, je dois passer devant lui.

Dans ses yeux brille l’ironie de la victoire.

Il n’y a plus qu’a aller tout droit, tête basse, ignorer sa présence, comme on le fait d’habitude pour les mendiants, les éclopés, les fous.

Pour tous ceux que l’on ne veut pas voir.

Pourtant on sait qu’ils sont là. Ils savent aussi qu’on les a vu.

On fait mine d’être préoccupé, on regarde ailleurs, on change de cap, on accélère.

Mon enfant est mort.

Je fixe les pavés qui défilent de plus en plus vite sous mes pas.

C’est vous, souffle-t-il sur mon passage.

Je viens de le dépasser. Le calme avec lequel il m’accuse est insupportable.

Je sens sa présence dans mon sillage.

Il ne dit plus rien. Je cours presque. Je l’entends haleter dans mon ombre. Je sais que si je ralentis le rythme, il va reprendre sa litanie diffamatoire.

Il y a un attroupement, là bas.

J’ai une chance de le perdre. Je ne veux plus l’entendre.

Essoufflé, le cœur battant à la limite de l’explosion je m’enfonce dans le groupe.

Il n’y a que des hommes, tous en costume noir.

Qu’est-ce que c’est? Une manifestation? Un enterrement?

Ils ont une valise à la main, un casque audio sur les oreilles, le regard braqué vers la cible unique qu’un homme grimpé sur un plot de béton leur pointe du doigt.

J’ai compris.

Ils sont en visite. Ils visitent la ville. Ils écoutent le commentaire du guide dans leurs écouteurs.

L’autre, le délateur, ne m’a pas suivi. Il reste à la périphérie du groupe. Il cherche à me repérer. Il tourne autour de nous. Je n’ai pas de costume noir, je ne peux pas échapper à son regard inquisiteur. Mais il répugne à entrer dans le groupe.

Alors il se met soudain à crier.

C’est vous, c’est vous qui avez tué mon enfant, hurle-t-il en me désignant.

Tous les poils de mon corps se hérissent tandis qu’un sueur froide m’inonde soudain.

Les hommes en noir dardent sur moi leurs regards l’un après l’autre.

Je me mets à trembler de tous mes membres.

Il faut nier, se défendre. Ma gorge est tellement nouée qu’aucun son n’en peut sortir.

Mon champ visuel commence à se rétrécir comme se ferme le diaphragme d’un objectif photographique. Mes jambes sont molles. Je suis au bord de l’évanouissement.

Il est mort, clame-t-il, vous l’avez tué.

Tous les regards qui me fixaient se détournent soudain.

J’ai juste le temps, avant de perdre connaissance, de voir les hommes en noir qui s’écartent de moi, chausser des lunettes sombres et pousser d’un même geste le son de leurs écouteurs au maximum.

 

J’ouvre d’un coup les yeux dans la pénombre.

Les draps trempés de sueur se sont entortillés comme des liens autour de moi et adhèrent à ma peau. Je dois me débattre un moment en tous sens avant que de pouvoir m’en libérer. Je parviens enfin à arracher la couette et la rejette brutalement loin de moi. Je suis glacé. Mes cheveux sont aussi humides qu’au sortir de la douche.

C’est encore nuit noire.

Caro est déjà levée.

Je trouve à tâtons le réveil. Quatre heures trente sept.

J’entends un cliquetis dans le bureau. Elle doit lire ses mails, ou le blog.

Avec d’infinies précautions, je me lève en silence.

Je trouve dans le placard un tee-shirt et un pantalon de pyjama secs, des chaussettes, un gros pull.

J’essuie la sueur qui coule de mon crâne avec les vêtements que je viens d’ôter, je les jette en boule sous le lit que je recouvre de la couette.

Je n’entends plus de cliquetis. Elle lit sûrement le blog.

Je me rallonge après avoir retourné l’oreiller.

 

Et qu’est-ce qu’elle en dit, Caro?

Rien, elle n’en dit rien.

Au début, elle contestait. Elle pinaillait sur des détails. Je lui ai dit : regarde, c’est écrit. Roman.

Depuis, elle n’en dit plus rien. Elle attend. Quelque fois elle me demande : tu n’as rien écrit?

J’écris, mais je ne mets par toujours en ligne. Ce blog est un piège.

Je n’y peux pas mentir. Je ne peux pas tout dire.

C’est une sorte de filtre. Le liquide passe, fluide et sombre comme du café, mais les résidus restent prisonniers.

Et ces résidus?

Ils sont à part, maintenant. Isolés, identifiés.

Identifiés?

Sexe, drogue, haine.

Il y a un silence.

Le sexe et la drogue. On en a déjà parlé, souvent même. Alors?

Ils font l’objet d’autres textes qui ne sont pas mis sur le blog. Ce sont des « bonus », vous savez, comme sur les DVD. C’est une question délicate. Intime.

Je verrai ce que j’en ferai quand j’en aurai terminé.

Et la haine?

Le plus universel des sentiments, n’est-ce pas? La part la plus bestiale, la plus profondément enracinée en chacun de nous. Notre assurance-vie, en quelque sorte.

Vous avez lu l’ « éloge de la fuite »?

Bien sûr.

Henri Laborit parle de la peur, et des deux solutions qui se propose à nous face au danger vital : la fuite, ou la lutte.

La peur engendre la haine dans tous les cas. C’est selon moi le sentiment qui domine.

On fuit avec la haine de sa peur, de sa faiblesse, et celle à l’égard de celui qui vous menace. Ou on combat avec une haine désespérée, les forces décuplées.

Il y a une troisième possibilité que n’évoque pas Laborit : la soumission.

La haine la plus extrême, je l’ai découverte dans la soumission.

Être contraint à une obéissance aveugle, sans explication, dictée par la peur. Je ne connais rien de pire.

Il y a un autre silence.

Quand en aurez-vous terminé?

Quand je sortirai de la bulle.

 

L’effroyable bruit de tornade de notre aspirateur de pacotille perce soudain la porte du bureau dans lequel je me suis retranché pour travailler en paix. J’en perds mes mots et mes phrases, le fil de ma pensée. Une bouffée de colère s’échappe violemment de moi que je réprime aussitôt. Je suis encore à vif.

Le téléphone n’a cessé de sonner depuis le matin. C’est bien simple, ce téléphone ne sonne que quand je travaille, ou quand je conduis.

Les feux passent au rouge quand j’arrive. Les rouleaux des caisses enregistreuses rendent l’âme au moment d’imprimer ma facture. Il pleut dès que je mets le nez dehors. C’est toujours occupé quand j’appelle l’hôpital de jour de Becquerel pour avoir mes résultats.

Je pousse la porte du bureau après avoir pris une bonne inspiration.

Je vais faire un café. Vous en prendrez, Yvette?

Comment? Me fait-elle en désignant ses oreilles puis l’aspirateur, comme dans un sketch de Fernand Raynaud, sans songer un instant à le débrancher.

Je presse l’interrupteur de la pointe du pied et reformule ma question.

Ma foi, je veux bien, mais je vais le faire si vous voulez.

Non, non, laissez.

Je file mettre le filtre à la cafetière dans la loggia pendant que l’infernal bruit de cyclone reprends.

Le mieux est que j’aille au courrier en attendant que passe la tempête.

Je m’impose de descendre à pied les quatre étages. Quelques enveloppes attendent dans la boite. Je prends aussi la liasse d’inévitables publicités qu’une main inconnue dépose à l’angle de la porte de l’immeuble.

Pas d’héroïsme, je remonte par l’ascenseur.

Le vent souffle toujours aussi fort dans l’appartement. Je m’isole et commence par les pubs. Deux minutes, et toute la liasse termine dans le sac que j’ai prévu pour les déchets recyclables.

J’enchaîne sur le courrier.

Formats inhabituels, cachets postaux en provenance d’autres départements. Des cartes de vœux, sans doute. Je ne les décachète pas. Je les garde pour Caro.

La dernière enveloppe porte l’écriture de mon père.

Sans l’ouvrir, je la glisse calmement parmi les pubs.

 

 

 

 

 

 

 

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commentaires

P
 eviter le téléphone, le courrier......difficile alors de te joindre
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C
On appelle ça la loi de Murphy.<br /> Bisous
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