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7 janvier 2007 7 07 /01 /janvier /2007 00:00

La mer est basse.

Sous un ciel bleu je regarde la mer du bord de la plage de Saint-Enogat.

Malgré le froid vif, quelques irréductibles promeneurs gâchent mon panorama préféré. J'aurais dû venir plus tôt.

Je m'assieds sur un des bancs verts qui bordent le mini-golf. Les verres de mes lunettes déforment le paysage au point qu'il me semble étranger. Je ne parviens pas sans crispation des paupières à le contempler plus de quelques secondes.

C'est à nu l'hiver que la plage est la plus belle. Plus de trace de la foule bruyante et vulgaire qui l'été s'entasse, s'étale et braille au soleil. La mer et le vent on tout nettoyé. Les algues et les débris de toutes sortes ont repris possession des lieux. Le tracteur qui tôt le matin griffe finement de sa herse la surface du sable ne passe plus depuis le mois de septembre. Les mouettes et les goélands ont déserté le ciel. On a dressé des palissades de bois pour empêcher le lent ensablement du chemin bitumé qui descend à la grève.

Je reste là fouetté par le vent encore quelques minutes, le temps de prendre trois ou quatre photos. J'ai renoncé à descendre plus bas. Je crains de trop peiner au retour dans le sable mou. D'être contraint à mi-pente de m'arrêter haletant, luttant contre le vent, le cœur prêt à exploser. En remontant vers le bourg de mon pas mesuré je néglige le bureau de tabac et passe par la pharmacie m'acheter de nouveaux patchs de nicotine.

Caroline vit avec douleur ces derniers jours dans la maison de son grand-père. Le matin elle est levée bien avant l'aube. Elle ne cesse de s'activer de toute la journée, ne s'arrêtant que pour dormir, sourde à tout ce qui l'éloigne de la besogne qu'elle s'est assignée. Elle examine chaque recoin, prépare le déménagement, décroche des tableaux, ferme des cartons de vaisselle avec l'adhésif de couleur marron, téléphone aux brocanteurs, fait estimer les meubles, puis appelle ses parents, et sa sœur pour les tenir informés de ses démarches.

Elle envisage de revenir dans quelques temps pour aider ses parents à finir la tâche, quitte à sacrifier ses vacances.

Tu ne peux pas comprendre, m'a-t-elle dit de plusieurs fois depuis qu'on sait que la maison est vendue.

Tout mes souvenirs sont ici, mon enfance, mes grands-parents. C'est ici ma maison.

Je la regarde s'activer, immobile, transparent et muet.

Je ne peux pas comprendre.

Que suis-je venu faire ici?

 

Il y a des maisons que l'on quitte plus difficilement que d'autres.

Quand j'ai loué mon premier appartement, je suis passé chez mon père récupérer quelques effets.

Tu n'as sans doute plus besoin de ta clé, m'a-t-il dit alors que je finissait de charger ma voiture sous son regard inquisiteur qui surveillait ce que j'emportais. Il voulait parler de la clé de chez lui.

Jusqu'alors, j'avais vécu chez lui. Jamais chez nous, ou dans notre maison.

Chez lui.

Je l'ai décrochée de mon trousseau et l'ai posée sans bruit sur la toile cirée de la table de la cuisine comme on s'acquitte avec soulagement d'une dette. Puis je suis parti d'un pas léger sans dire un mot, avec au cœur l'apaisante certitude de n'avoir nul besoin de revenir un jour, et de désormais ne plus compter que sur moi-même.

Quand je suis arrivé chez moi, j'ai réalisé que je n'avais pas de lit pour dormir. Il n'y avait même pas d'ampoule à la douille qui pendait du plafond. La nuit tombait, c'était l'hiver.

J'ai posé ma valise dans un coin et suis allé m'acheter un matelas et de quoi dîner. Le soir, je me suis vite endormi d'un sommeil apaisé.

Caroline a toujours dans son sac la clé de l'appartement de ses parents.

Hier soir, je suis allé dormir au deuxième étage dans l'un des deux lits jumeaux de fer qui ont été réunis en un seul à notre intention il y a quelques années déjà.

Il n'y avait pas de draps. L'autre lit déjà démonté gisait en pièces détachées éparpillées dans la chambre. Dans la chambre contiguë, le lit double de Sophie et Fred est aussi défait. Le sommier est dressé contre un mur, les couvertures sont étalées au sol. Un peu partout sur les murs fleurissent les traces des tableaux décrochés, claires comme des fenêtres d'été ouvertes sur le passé. Des armoires aux portes entre-baillées laissent apercevoir des étagères dépouillées de leur contenu.

En bas, le réfrigérateur a été nettoyé et ses claies démontées. Les rebords de fenêtres sur lesquels il est impensable d'habitude de laisser rien qui ne soit aussitôt attaqué par les goélands, sont encombrés de nos victuailles.

Antoine prend un malin plaisir à étaler partout ses jouets dans le fouillis général. On ne peut faire trois pas sans marcher sur une voiture, un chevalier de plastique ou un avion.

Je me suis recroquevillé sous deux couches de couvertures. J'ai toujours froid bien que le thermomètre du hall indique vingt et un degrés.

Le soir, il arrive que Caro s'endorme d'épuisement sur le lit d'Antoine pendant qu'elle lui lit une histoire.

J'ai entendu une porte se fermer, et monter par la cage d'escalier obscure le son de la télé. J'ai écouté longtemps le vent qui soufflait par bourrasques avant de m'endormir.

 

Jacques et Gaétan ont chargé le camion de location. je les ai regardé faire avec un sentiment d'impuissance et d'inutilité. Me hisser jusqu'au deuxième étage suffit à accélérer mon rythme cardiaque de façon alarmante. Inutile de songer à porter le moindre carton dans les escaliers sans ralentir leur travail, mais ils vont vite.

Antoine va et vient au beau milieu de l'agitation, pieds nus et en pyjama dans les courants d'air, malgré nos recommandations. Il a passé hier beaucoup de temps à déballer ce que sa mère avait mis tant de soin à protéger en vue du transport.

A chaque instant d'inattention de notre part on le retrouve en train de jouer avec un objet fragile, un briquet ou un cutter à la main.

C'est sa façon de manifester son anxiété.

On lui a expliqué que c'était la dernière fois qu'on venait dans la maison de Papoum. Qu'est-ce qu'un enfant de quatre ans comprend au mot dernier, ou jamais, ou fini, à part une inquiétude sourde?

En moins d'une heure, la tâche est achevée. Gaétan rentre chez lui à la Fourberie, à quelques minutes d'ici, tandis que Jacques et moi prenons place dans le véhicule.

Caro et Antoine restent à Dinard encore deux jours.

Les américains doivent venir en fin de matinée avec un architecte d'intérieur pour prendre les mesures de la cuisine, et voir les cloisons qu'ils pourront abattre. Ils ont voulu conserver le piano qui a sa place à la droite de la cheminée de marbre de la salle à manger depuis plus de quatre-vingt ans.

A Rouen Jacques et moi déjeunons dans un grill, puis Jacques et Brigitte nous rejoignent pour vider le camion.

Comme le matin je ne fais que tenir les portes et donner quelques indications aux deux Jacques.

Et tes plaques? Me demande Brigitte tandis qu'on prend le café en croquant une tablette de chocolat à l'orange.

Il me faut un moment pour comprendre ce dont elle parle.

Tu parlais de plaques rouges dans ton blog, d'ailleurs il y a longtemps que tu n'as rien écrit.

C'est vrai.

Les plaques rouges ont disparu au bout de trois jours aussi brusquement qu'elles étaient apparues. Je les avais oubliées. Quelle sera la prochaine surprise?

Je me suis habitué à mon état physique. Je connais la quantité d'effort que je peux fournir sans désagrément majeur. Je calcule mon activité en fonction de ces limites. Je compose. Ainsi, je parviens à simuler une situation de stabilité qui singe la normale. Mon mental aussi feint de s'en accommoder.

Cependant que je le veuille ou non, un irrésistible compte à rebours s'égrène sournoisement dans mon esprit.

22 janvier, encore vingt jours, dix-neuf, dix-huit... A chaque jour qui passe je m'approche de l'inconnu.

Au bout de combien de temps sortirai-je de la bulle? En sortirai-je? Dans quel état? A quel prix?

Chaque jour qui passe pèse de plus en plus lourd sur mes épaules. Sans que je parvienne à le faire taire, mon esprit martèle jour après jour mes erreurs et mes espoirs déçus.

J'avais emporté mon portable à Dinard, mais je ne l'ai même pas sorti de sa mallette. Le climat était trop tendu, je me sentais trop inhibé pour que je puisse écrire le moindre mot. Rarement je m'étais senti aussi accablé, oublié de tous.

On ne se sent jamais aussi seul qu'incompris parmi les siens.

Quand ils sont tous partis, je me laisse tomber dans le canapé. Le voyage m'a fatigué, mais je suis enfin seul. Une vraie solitude, physique et apaisante. Un cessez le feu. Une trêve. Il est temps de poser les armes.

Je n'aspire qu'au silence et à l'immobilité.

Chacun se protège et proteste de sa souffrance tel qu'il l'a appris dans la solitude de son enfance.

Les uns crient ou s'agitent, frappent, pleurent, mangent, boivent, dépensent compulsivement, s'agressent eux-même ou autrui de multiples façons, toujours dans l'excès, avec la fureur d'une bête acculée et l'espoir secret d'obtenir de l'aide.

Au contraire, je m'emmure au plus profond de moi. Je verrouille à double tour.

J'ai appris cela enfant, cadenassé dans la petite chambre glaciale, étouffant avec rage les sanglots et les larmes.

Là, je mène le combat intérieur avec les pensées les plus noires qui ne rêvent que de clouer ma peau à leur tableau de chasse. Scellé dans un silence douloureux, tourmenté par la crainte de laisser filtrer un de ces démons au risque de dévaster tous ceux qui m'entourent, je m'épuise à contraindre la violence au silence.

Je me lève du canapé pour débrancher le téléphone.

Je déconnecte mon portable.

L'armure sans un bruit tombe d'elle même.

 

 

 

 

 

 

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commentaires

A
Aprés avoir lu et relu cela ou tu dis oublié de tous!!!! sache  pas de moi, je pense toujours a toi et en lisant ton blog tous les jours, je devine plein de choses,et si tu veux te confier, je suis là,prete a t\\\'écouter. Quelque fois ça fait du bien de se lacher,plutot que ruminer.<br /> J\\\'espére que tu ne m\\\'en voudras pas ,pour ce que je viens d\\\'ecrire,c\\\'est parce que je t\\\'aime trés fort et que je te sens malheureux.<br /> Je t\\\'embrasse trés fort   Agnes
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C
Ce sentiment de soiltude doit être bien lourd à porter mais grâce à "survivre" tu nous permets de nous rapprocher de toi. <br /> La maladie isole, c'est vrai, mais sache que nous sommes là. <br /> Tiens bon.
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N
un tit coucou,<br /> En ce début d'anée, je pense bien à toi. Ce que tu écris me touche beaucoup et je voulais te dire qu'on ne t'oublie pas.<br /> Je te souhaite que tout ce passe bien, sache que je prirais pour toi et queje le fais déjà.<br /> Bise
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