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15 décembre 2006 5 15 /12 /décembre /2006 00:00

Lille, Toussaint 2001

Je dois avoir un peu abusé hier soir, me dit Caro. Ou alors j’ai attrapé une gastro.

On vient de finir d’emménager à Bel Horizon. Pour se remettre de ces longs mois de travaux et du déménagement, on a décidé de s’offrir un week-end lillois. J’ai réservé une chambre dans un hôtel du centre ville par internet.

On fait le tour complet du vieux Lille. Caro se moque de moi car à chaque fois que je veux lui indiquer une boutique, un bar ou un resto, celui-ci a disparu. Le restaurant des Messageries sur la Grand-Place, une véritable institution où je voulais que nous déjeunions, est devenu la Française des Jeux. Deux hôtesses en uniforme bleu attendent je ne sais quoi derrière un comptoir. Une télé diffuse en boucle le tirage du loto.

Il est vrai que je n’habite plus Lille depuis six ans.

Hier soir, on a dîné à la Cave aux fioles.

Ils ont une bonne cave.

Vin au verre, assiettes bien garnies et chaude ambiance.

Ils avaient un problème électrique. Leur disjoncteur lâchait tous les quarts d’heure.

A chaque fois que la salle était plongée dans la pénombre, la salle reprenait en cœur « joyeux anniversaire… ».

Plus tard, un groupe d’anglaises dont les maris assistent à un match de foot à Lens débarquent. Elles font la tournée des bars. Pas de raison que les hommes soient les seuls à s’amuser. Un orchestre itinérant entre derrière elles.

On les a fait danser dans le restaurant au son de l’orchestre. On leur a offert des roses achetées à un type qui faisait le tour des tables. Elles ont dû garder un sacré souvenir de leur soirée lilloise. Et de la gueule de bois du lendemain.

Ah, ces frenchies!

Le lendemain, alors qu’on rentre à Rouen, elle est toujours nauséeuse.

C’est sûr, j’ai une gastro.

Ou un Alien, lui dis-je.

Sérieusement, tu crois que…

Je te dis que c’est un Alien.

Du coup, elle n’en dort pas de la nuit.

Le lendemain en sortant du centre de rééducation, elle me demande de m’arrêter devant la pharmacie.

On rentre, me dit-elle, son petit sachet de papier frappé de la croix verte à la main.

Ce soir, on ne descend pas en ville.

A peine arrivée, elle s’enferme dans les toilettes pendant que je commence à voir ce que je pourrais nous faire à manger en écoutant la fin de l’émission de Mermet.

Quelques minutes plus tard, elle est auprès de moi un bâtonnet à la main.

C’est positif, fait-elle, regarde.

Elle m’agite le truc sous le nez.

Tu vois, c’est rose, là.

Je lui rappelle que je suis daltonien…

Et pas aussi près, je suis aussi presbyte.

Elle balance le test de grossesse dans la poubelle.

Tu avais raison pour l’Alien.

On s’embrasse.

J’ai toujours raison.

Je lui sers un verre de Muscadet.

Elle ne dit plus rien, mais je vois bien que ça cogite ferme. Probable que deux ou trois choses vont changer dans notre vie.

Je vais nous faire une salade tomates, fêta et anchois. Ca te va?

Pas de réponse.

Dans ton état, il faut que tu manges quelque chose.

T’es con ,fait-elle.

Au bout d’un moment, elle n’y tient plus. Je la vois qui farfouille dans la poubelle et qui ressort son bout de plastique.

Elle se place sous l’éclairage et le tourne dans tous les sens.

Pas de doute, murmure-t-elle, c’est rose.

Ca veut dire que c’est une fille ?

Elle hausse les épaules. Demain, je vais faire une prise de sang.

C’est un garçon, nous assure-t-on à l’échographie. Pour le moment on décide de l’appeler Mouloud. On ne s’est pas encore mis d’accord sur un prénom.

Naturellement, j’ai demandé Caro en mariage.

Elle a dit oui.

Je souhaite qu’on soit marié avant la naissance de Mouloud.

On invite qui?

La liste est vite établie. La famille proche, les témoins, quelques amis.

Et ton père?

Je ne l’ai pas vu depuis deux ans. La dernière fois, c’était à l’enterrement de sa mère.

Il ne s’est soucié ni de Camille ni de moi depuis mon divorce.

Tu tiens à faire sa connaissance? Je t’assure que cela n’en vaut pas la peine.

Tu feras comme tu le voudras, finit-elle par me dire. Mais moi, j’ai une liste d’invités à établir.

C’est tout vu. Je me sens mal à l’aise au seul fait d’imaginer sa présence.

Je veux reconstruire une nouvelle vie dans laquelle il n’a pas de place.

Comme il ne pourra pas ignorer longtemps notre mariage, je me décide à lui écrire.

Tu apprendras sans doute que je me marie le 23 mars.

Ma femme s’appelle Caroline. Nous attendons un enfant, c’est un garçon.

Le peu de sentiments qui existent entre nous m’incite à ne pas souhaiter ta présence.

Tu n’es pour moi qu’un père biologique.

J.Marc.

Quand on rentre de Guadeloupe, on s’est décidé pour un prénom. Ce sera Antoine.

A sa naissance, j’envoie un faire-part à mon père qui reste sans réponse.

La vie s’écoule.

On a droit à toutes les péripéties auxquelles il faut s’attendre quand on cohabite avec un nourrisson.

Un samedi, je reconnais l’écriture de mon père sur une enveloppe que je viens d’extraire de notre boite aux lettres.

Pas de doute, elle a été postée à Maubeuge.

Je la laisse toute la journée sur le plan de travail, posée à côté du mini hachoir qui sert à la préparation des purées d’Antoine.

C’est quoi? Me demande Caro.

Une lettre de mon père.

Tu ne l’ouvres pas?

Tu vois bien, je ne l’ouvre pas.

Je l’ouvre quand-même le lendemain.

Elle contient une demi feuille format A4.

C’est un menu sans résidu émanant d’un établissement hospitalier de Maubeuge.

Il y a un numéro de chambre.

Un nom est manuscrit au bas de la page : Nicolle J.

Au verso, ces quelques mots d’une écriture que je connais bien :

L’opération s’est bien passée.

Tant mieux, me dis-je en tendant la feuille à Caro, regarde, c’est la lettre de mon père.

J’attends qu’elle ait fini de lire le pied sur la pédale de la poubelle.

 

Septembre 2006,

On m’a fait hier en urgence une plasmaphérèse en réa.médicale. Des vrais cow-boys.

Caro et moi on attend la visite des médecins ce matin. On se prépare à de mauvaises nouvelles. Je ne suis pas hospitalisé à Becquerel pour une affection bénigne.

L’après-midi, on sait que c’est un myélome. Elle m’apporte une valise et les livres que je lui ai demandés.

J’ai horreur de corner les pages. Je respecte trop les livres.

J’ai l’habitude d’utiliser pour marque-page des papiers de toutes sortes que je laisse ensuite dans le livre avant de le stocker dans ma bibliothèque à la cave.

Tickets de cinéma, de train ou d’avion, entrées de musées, additions de restaurants.

Ce sont des souvenirs que je retrouve avec plaisir quand il m’arrive de feuilleter ou de relire.

J’avais heureusement fait quelques achats à l’Armitière avant d’être hospitalisé.

Malgré ma mauvaise vue, je commence à lire « Le Démon » d’Hubert Selby Jr.

Quelques jours plus tard, je suis rentré à l’appartement. Je ne vais pas bien. Je me sens très faible. Impossible de sortir. Ma vision est très dégradée. La lecture de l’écran du PC est plus aisée que celle de livres.

Je commence à écrire un blog. J’ai besoin de continuer à communiquer avec les gens qui forment mon univers.

Quand j’ai pianoté deux heures sur mon clavier, je m’allonge épuisé dans le canapé et je m’endors.

Quand je me réveille, je n’ai pas la force de me lever. Pour quoi faire d’ailleurs?

Ma main se tend naturellement vers la table basse où on empile magasines et livres.

J’ajuste un coussin et règle au plus près la lampe IKEA articulée. J’ai beau essuyer soigneusement les verres de mes lunettes, je n’y vois pas mieux. Il me faut un éclairage maximum.

J’ai retrouvé à tâtons « Le Démon ».

J’ai marqué la page avec le premier papier qui m’est tombé sous la main à l’hôpital.

Une demi feuille format A4 à l’en-tête du centre Becquerel, sur lequel est imprimé le menu. Mon nom a été ajouté manuellement ainsi que le numéro de ma chambre, le 121.

Ca me rappelle quelque chose.

Je fais l’effort de me traîner jusqu’à la chambre de Camille qui fait office de bureau quand elle n’est pas là.

Je trouve ce que je cherche. Stylo, enveloppe, timbre.

Sur le recto du menu de Becquerel, j’écris ces mots :

Je commence la chimiothérapie le 2 octobre.

Je plie la feuille et la glisse dans l’enveloppe. J’y colle le timbre.

Il y a quand-même un problême, me dis-je.

Où ai-je bien pu noter son adresse?

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