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14 décembre 2006 4 14 /12 /décembre /2006 00:00

Je reçois un mail de JJ.

Alors là, ce que j’ai lu sur ton blog m’a scié, commence-t-il.

J’ai appris le premier mariage de notre mère exactement de la même façon que toi.

Moi, ce qui me scie, c’est que ce secret ait été gardé aussi longtemps. Comme une tache que l’on s’efforce de faire disparaître.

Il poursuit en me disant qu’il a demandé des explications à Mamie. C’était en 69 ou 70.

J’imagine très bien la tête qu’elle a dû faire. La même que celle qu’elle m’a faite une dizaine d’années plus tard.

Elle lui a expliqué que son premier mari était alcoolique, qu’elle n’a pas vécu plus de trois mois avec lui avant que de rentrer chez ses parents et de demander le divorce.

Note, conclut-il, qu’il était peut-être homo ET alcoolo, pourquoi pas?

Et pourquoi pas collabo?

L’hypothèse est séduisante. Elle cadre bien avec l’époque.

Là-dessus, c’est Agnès qui m’appelle.

Je viens de lire le blog, me dit-elle. Je t’appelle pour te donner des précisions.

A cette époque Agnès et sa mère habitaient chez Mamie et Gabriel, dans l’appartement du premier étage où logeront plus tard postiers et étudiants étrangers.

D’abord, me dit-elle, le premier mari de ta mère s’appelait Marcel C.

C’est vrai, j’ai inventé le nom de Charles S.

Ils se sont mariés beaucoup plus tôt que la date que tu évoques. C’était en 42 ou 43, pendant l’occupation. Je m’en souviens parce que sur les photos de leur mariage je porte la même robe que pour ma communion. Je suis née en 1930, j’ai fait ma communion en 42.

Je fais un rapide calcul.

Notre mère devait donc avoir dix-neuf ou vingt ans. Elle était très jeune en effet quand elle a épousé ce Marcel.

Les photos du mariage ça m’intéresse, lui dis-je, il faudra que tu me montres ça.

Marcel tenait un cinéma à Niort, poursuit-elle.

On est allé à leur mariage dans les Deux-Sèvres. J’étais gamine. Plus tard ta mère est venue me chercher pour passer des vacances là-bas. C’était l’été, on habitait dans une ferme à la Chapelle St-Laurent, chez les parents de Marcel.

A la fin des vacances, on est remontées dans le Nord en train toutes les deux. Je me souviens de cet hôtel à Poitiers qui était plein de puces.

On est rentrées au 46 rue Chanzy. Elle n’est jamais retournée dans les Deux-Sèvres.

Ta mère ne m’a pas fait de confidences à l’époque. Je te rappelle que j’étais une gamine. Plus tard on n’en a jamais reparlé. Mais Mamie a toujours dit qu’elle avait quitté Marcel parce qu’il était homosexuel.

Ensuite, elle a divorcé. Elle suivait des cours à l’ENSAIT, tu sais, en face de l’ancienne piscine qu’on a transformé en musée?

Je me souviens parfaitement. J’allais m’y baigner avec Mamie quand j’étais gamin. Je vois encore très bien la coursive des cabines, un étage au-dessus du bassin. On entrait par une porte côté public, et on sortait côté piscine. La cabine restait personnelle pendant la durée du bain. Il y avait cette superbe verrière art déco, et une tête de lion en bronze qui crachait son jet d’eau. Il me semble qu’il existait aussi une passerelle qui permettait de franchir la piscine en son milieu.

Par contre, Mamie me disait que ma mère faisait les Beaux-Arts. Je ne sais rien sur l’ENSAIT.

Une rapide recherche sur le Net m’apprend qu’il s’agit de l’École Nationale Supérieure des Arts et Industries Textiles.

Dans les pages blanches je ne trouve pas de C. à Niort. J’en trouve six à la Chapelle St Laurent. Mais pas de Marcel.

Il y a sûrement parmi eux quelqu’un qui a connu Marcel. Ca semble être le berceau familial.

Et alors, que leur demanderais-je?

S’ils avaient un oncle où un grand-père homo?

On doit planquer les cadavres dans les placards dans les Deux-Sèvres comme ici.

Dans son mail, JJ me donne d’autres précisions sur les activités de notre grand-père Gabriel pendant la guerre.

Je n’ai pas connu Gabriel. Quelques mois avant ma naissance, Mamie l’a retrouvé un matin mort à côté d’elle, dans ce même lit où elle décèdera trente ans plus tard. Mais JJ l’a connu et en garde quelques souvenirs.

Sans doute est-ce pour cette raison que Mamie lui a raconté certains détails.

Lui et les autres membres de son réseau ont fait sauter par deux fois les aiguillages de la gare de Roubaix, ainsi qu’un transformateur électrique de la place du Travail. Il me dit qu’il a été décoré pour cela.

Ca me fait penser que j’ai dans mes archives des documents relatifs à cette époque que j’ai récupérés lorsque nous avons vendu le 46 rue Chanzy.

Je cherche mon trousseau de clés et je descends à la cave.

On y accède facilement maintenant que Caro a fait du vide.

Il ne me faut que quelques minutes pour mettre la main sur cet album que j’ai constitué il y a quelques années avec ce que j’ai conservé des papiers de Mamie.

J’y redécouvre un certificat de capacité pour la conduite des motocyclettes à pétrole au nom de Gabriel datant de 1920, ainsi qu’une carte du combattant émanant de l’Office National des Mutilés, Combattants et Victimes de la guerre estampillée 1936.

La période qui m’intéresse vient juste après.

Outre sa carte de FFI, sur laquelle il est précisé en caractère gras que tout contrefacteur sera puni de mort, je découvre deux diplômes de la médaille commémorative française de la guerre 39-45.

L’un au nom de Gabriel, l’autre à celui de Georgette.

Ils appartenaient tous les deux au réseau Sylvestre-Farmer, dont le sigle est une tête de chat noir sur fond blanc et la croix de lorraine.

Un peu plus tard j’apprends de nouveaux détails sur l’écran de mon PC.

Ils étaient membres du réseau du capitaine Michel, alias Michel ou Mickaël Trotobas, un véritable héros, celui-là.

Évadé en juillet 42 du camp d’internement de Mauzac après un premier parachutage qui a mal tourné, il revient en France via l’Angleterre dès la fin novembre de la même année pour y créer son réseau dans le nord du pays.

Il s’est fait abattre, ainsi que sa compagne Denise Gilman le 27 novembre 1943 au 20 boulevard de Belfort à Lille par la Gestapo, après avoir été dénoncé par l’un de ses hommes. Le 22 novembre, on avait fait sauter un train de munition en gare de Rosult. Les murs de Lille étaient couverts d’affiches promettant 500.000 francs à qui le ferait prendre. Il en a descendu trois avant de se faire allumer à son tour.

Cela faisait un an qu’il ridiculisait les services de sécurité allemands.

Aide aux prisonniers de guerre évadés et aux aviateurs abattus, évacuation d’agents « brûlés »,presse clandestine, déraillages, explosions de trains de munitions, organisation de parachutages.

Son plus beau coup reste celui du sabotage de l’usine de Fives en juin 43.

On fabrique dans cette usine des locomotives pour l’armée allemande. Il s’y fait embaucher pour repérer les points faibles de la sécurité.

Un soir, il s’y rend sous les traits de l’inspecteur « Dulard » flanqué d’une dizaine de complices.

Sous prétexte de rechercher des saboteurs, il fait se regrouper le personnel présent à l’autre bout de l’usine tandis que ses comparses disposent les explosifs aux endroits qu’il a repéré.

Après l’explosion, l’usine reste longtemps inutilisable.

L’été 43 les arrestations se multiplient, sous l’effet des dénonciations et des interrogatoires.

Mais le réseau ne s’éteindra pas. Dans la nuit du 20 au 21 décembre, le dépôt de locomotives de la gare de Tourcoing est saboté. Pierre Séailles a pris la succession du capitaine Michel.

J’ignore tout des activités réelles de Gabrielle et Georgette au sein du réseau Sylvestre-Farmer, mais si on en croit les dires de Mamie, Gabriel ne s’est pas contenté de porter des lettres.

Quoiqu’il en soit, appartenir à un réseau de résistance, c’était risquer sa vie.

Déjà les francs-maçons sont pourchassés.

Depuis 1940, c’est un « frère »qui a pris la tête de l’antenne locale du service des sociétés secrètes de Vichy. Ce faux-frère a balancé l’ensemble des réseaux francs-maçons à la Gestapo.

Mais Gabriel voulait en découdre.

Foutu caractère de flamand.

Je ne suis pas non plus étonné que Mamie ait également pris part à ces activités secrètes et risquées. N’a-t-elle pas perdu tous ses frères lors de la première guerre?

Dans ses papiers je me souviens avoir retrouvé une carte postale de l’un d’entre eux qui commence par ces mots terribles: je t’écris pour te dire que je ne suis pas encore mort…

Foutu caractère d’ardennaise.

Impossible de fouiller dans le passé d’Eugêne. Tous ses papiers sont en possession de mon père.

Pendant la deuxième guerre il est muté à Hirson où Suzanne, Jacques et Jacqueline ne tardent pas à le rejoindre.

Mon père est mis en pension, chez les frères.

Je suppose que Suzanne trouve sans difficulté un poste d’institutrice.

Quel est le rôle d’un douanier dans ce lieu?

Hirson est au carrefour de deux régions ferroviaires, l’Est et le Nord, l’une minière, l’autre métallurgique.

L’aviation anglaise pilonne régulièrement le site.

Eugène a dû se contenter d’obéir aux ordres de sa hiérarchie. Je n’ai pas de doute à son sujet. C’était un homme droit.

Encore que…

J’ai aussi retrouvé dans ma cave un carton qui contient la correspondance que j’ai entretenu avec Jacqueline pendant la période où elle était moniale. Vingt ans de lettres mensuelles.

Cela m’a rappelé qu’elle m’avait raconté la faute d’Eugêne.

Car Eugène a fauté avec une jolie Hirsonnaise esseulée avant que sa famille ne revienne d’Argelès.

Une bonne âme s’est empressée d’en informer Suzanne.

On imagine la suite. Disputes, menaces, pleurs…

Ce jour là, Suzanne est restée, mais elle a pris définitivement les rennes du couple.

On comprend pourquoi les couples Eugêne-Suzanne et Gabriel-Georgette se détestaient cordialement.

Catholiques pratiquants-radins d’un côté et libres-penseurs généreux de l’autre.

Au milieu, le couple Jacques-Gabrielle dont JJ et moi sommes les enfants.

Ils en avaient des névroses à nous transmettre.

 

 

 

 

 

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