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22 février 2007 4 22 /02 /février /2007 00:00

... Je reprends mon souffle sur le canapé.

Caro pensait que les travaux de réfection des peintures, consécutifs au dégât des eaux de l’été dernier, seraient achevés pour mon retour de Becquerel. Il n’en est rien.

L’appartement est sens dessus-dessous. Les meubles et les cartons s’empilent çà et là. La poussière de ponçage et l'odeur de peinture envahissent les lieux.

Qu'importe, je suis heureux d'être de retour dans le monde des vivants.

Je profite de l’absence de Caro qui part rechercher Antoine pour retrouver la terrasse en bois et son panorama.

J’ai piqué une cigarette dans un paquet qui traînait sur la table, je me suis servi un coca amélioré d’une courte rasade de rhum blanc et de deux glaçons.

Autant reprendre tout de suite ces mauvaises habitudes qui font tant de bien à l’âme.

La visite de l’appartement en bouleversement me permet de retrouver le PC dans une autre pièce que celle où il est d’habitude connecté sur le monde. J’en profite pour envoyer un bref e-mail que j’intitule « Home, sweet home » aux membres les plus proches de mon carnet d’adresse.

Je clique à peine sur le bouton «  envoi des messages » que j’entends une clé qui tourne dans la serrure.

Antoine m'embrasse furtivement. Il s'est fâché avec sa mère. Il ne voulait plus partir de chez son petit camarade.

Il m'ignore, comme si on s’était vu le matin même, préférant filer devant le PC où il réclame qu'on lui mette son jeu d'avions.

Bien qu'il sache le faire seul, j'installe en quelques clics le logiciel Plane Arcade que j'ai téléchargé sur internet il y a quelques mois. Il est entièrement écrit en une de ces incompréhensibles langues d'un ex-pays du bloc soviétique. Hongrois, tchèque? J'ai oublié. Aucune importance. Le jeu, intégralement intuitif, se joue uniquement à la souris.

On y est, dans un très réaliste univers 3D, à la commande d'un avion de la deuxième guerre mondiale, qui ressemble à un "Spitfire" anglais.

Je lui avais au début programmé la phase de jeu qui consiste uniquement à piloter l'avion sur fond de désert. Mais à force de tâtonnements il a bien vite découvert seul les autres possibilités.

Il dessine sur le PC et joue à des jeux enfantins depuis l'âge de trois ans.

Le reste du jeu dont il a découvert l’accès consiste à détruire au moyen de canons et de bombes certaines cibles au sol, camions, chars, bâtiments, batteries de DCA qui crachent dans votre direction leurs projectiles anti-aériens, en évitant de vous faire descendre par la chasse ennemie qui tournoie autour de vous.

J'ai en horreur la violence, mais c'est le seul jeu que j'ai pu dénicher qui permette le pilotage d'un avion à un enfant de quatre ans.

Il n'y a aucun personnage. Il s'agit avant tout d'habileté et de réflexe.

Antoine est devenu un vrai virtuose. Il enchaîne les vrilles, les chandelles et les piqués, échappe à ses poursuivants avec des rires de défi, atteint ses cibles avec des cris de joie.

Tandis qu’innocemment il joue, je reste derrière lui à contempler sa silhouette se détacher en sombre sur fond d’écran plat.

Je le trouve grandi, ses cheveux ont poussé.

Il achève victorieusement la partie, puis il se tourne vers moi.

Tu as vu, Papa, je suis fort, moi.

J’ai vu, Antoine. Tu es très fort.

Moi, je suis le plus fort.

Oui, c’est vrai, tu es le plus fort.

Cette fois, on s’étreint très fort...

Il lui a été utile de faire un détour par un univers virtuel pour se purger de son enfantine colère et encaisser le choc de me revoir en chair et en os, amaigri, le cheveu rare.

Maintenant il est là, de retour avec nous.

Il me gratifie de deux gros bisous.

Je t’aime, Papa.

Moi aussi je t’aime, Antoine.

 

Deux jours plus tard...

...Le soir, quand il a fallu le laisser seul dans son lit après trois semaines à dormir avec sa mère en raison des travaux, ça n'a pas été facile.

Caro en arrivant dans la chambre m'a dit qu'il pleurait.

Tu sais ce qu'il m'a dit?

Non.

"J'ai peur que Papa il va mourir".

Je vais aller dormir avec lui, ai-je dit.

Quand je me suis allongé près de lui, il m'a demandé de lui montrer mes bobos.

J'ai remonté ma manche pour lui montrer le pansement de la biopsie de peau. A son tour, il m'a désigné la grosse griffe sur son nez, et l'éraflure de son genou.

Moi, j'en ai deux, de bobos.

Oui, mais toi, tu es fort.

Ensuite, il est venu se blottir contre moi.

Alors que, anéanti de fatigue je chavirais peu à peu dans le sommeil, j'ai senti sa petite main caresser doucement mon avant-bras. Il s'est endormi peu après.

Je ne sais pas si j'ai bien fait... Mais je ne me voyais pas réagir autrement.

Oui, je pense que vous avez bien fait. Il fallait renouer le contact.

Je vous remercie de m'avoir averti par téléphone de votre retard à notre rendez-vous. J'en ai profité pour lui acheter un petit cadeau. Nous lui rapportons toujours une babiole, Caro et moi, quand nous partons en voyage.

Qu'est ce que c'est?

Une torche électrique, que j'ai déniché chez Nature et Découvertes. Vous savez, de celles qui fonctionnent sans pile, qu'on remonte à la manière d'un poivrier?

Je vois. c’est un bon choix. Il a peur dans le noir?

Oui. Moi aussi j'avais peur du noir, quand j'étais enfant. J’y étais pourtant plongé chaque soir. Ca correspond à une angoisse de séparation je crois?

En effet.

Mais changeons de sujet, poursuit-il.

Vous savez que Camille m’a ouvert les yeux?

???

Dans un commentaire sur votre blog.

Elle dit qu’il est normal que vous soyez énervé. Et il est vrai que vous laissez éclater votre colère. Voilà qui devrait ruiner votre hypothèse du cancer névrotique, puisque vous désamorcer en exprimant votre courroux.

Il est vrai qu’aujourd’hui je comprends mieux le sens de ma démarche.

A chacun j’ai assigné sa tâche.

Aux hématologues celle de traiter les effets de mon cancer. A moi celle d’en éradiquer les causes.

Éradiquer?

Découvrir, désamorcer.

Un vrai travail de déminage.

C’est une besogne que j’avais entrepris bien avant la maladie.

Pour cela, j’ai creusé le passé. J’ai fait en sorte d’éclairer toute cette période refoulée de mon enfance en m’appuyant sur les témoignages de Jacqueline, d’Agnès et de JJ.

A partir de ces différents éléments, j’ai reconstruit des scènes de mon enfance. Je suis même allé jusqu’à rechercher dans la vie de mes grands-parents paternels des causes aux comportements de mon père dans l’hypothèse où il aurait été le vecteur principal.

Mais j’ai encore plusieurs pistes à explorer.

Lesquelles?

La mort prématurée de ma mère, bien sûr. Et pourquoi pas sa propre personnalité?

Mais il y a autre chose dont je voudrais vous parler. Là, c’est du freudien pur jus.

Il réajuste sa position dans son fauteuil pour adopter celle de celui qui va être attentif à chaque mot.

Quand Caro est partie récupérer Antoine le soir de mon retour, j’ai recherché dans mon PC fixe un e-mail que m’avait envoyé JJ aux environs de Noël.

C’est là que j’ai appris qu’à son retour d’Oscar Lambret, elle a été suivie quelques temps par un... kiné.

Il y a un moment où les coïncidences cessent d’en être, vous ne trouvez pas?

Il est déjà plongé dans mon dossier avec cette curieuse attitude qu’ont les gauchers qui écrivent.

J’avais déjà remarqué que vous cultiviez un certain sens de la chute.

Je comprends immédiatement le message.

On va en rester là pour aujourd’hui, fait-il en répondant à mon sourire.

 

 

 

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