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18 février 2007 7 18 /02 /février /2007 00:00

…Je m’appelle V. Je suis la conne masquée…

Cette fois je m’éveille tout à fait. Il semble que toute l’unité de soins intensifs soit connectée sur mon blog.

Vous savez, lui dis-je, on est toujours le con de quelqu’un. Je l’ai moi-même été un nombre incalculable de fois.

On ne peut pas dire que cela fasse plaisir de lire cela sur un blog, poursuit-elle, alors que je m'efforce de faire pour le mieux depuis tant d’années…

Une de ses collègues m’a déjà tenu ce genre de discours il y a quelques jours.

Elle était assez énervée, ce que je comprends. Il n’est jamais agréable de se faire prendre la main dans le sac des "Petites" erreurs quotidiennes.

Le métier de soignant nécessite une grande exigence ,beaucoup d’humilité, et une bonne part d’abnégation. J'en puis parler à mon aise, étant moi-même aujourd'hui un soignant-soigné.

Je ne sais que trop combien il est confortable de s'abriter derrière l'excellence de la pratique technique. C'est la meilleure façon de n'être pas là, présent, à l'écoute des besoins réels du patient. C'est une manière pour le soignant de se protéger de la réalité des souffrances du patient.

C'est une façon pour le soignant de veiller sur lui-même.

Est-ce cela, soigner?

Il n'y a rien d'exceptionnel à ce que mon boulanger sache fabriquer du bon pain, à ce que mon garagiste soit capable de réparer ma voiture, à ce qu'une infirmière sache faire une injection en toute sécurité.

La compétence technique est bien le moins que l'on puisse attendre chez n'importe quel professionnel. La compétence technique, n'est rien d'autre qu'une sorte de minimum syndical.

Le véritable enjeu pour les soignants se situe ailleurs.

Les soignants sont, comme d'autres corporations, les dépositaires d'une charge à la portée inestimable : respecter et faire respecter les valeurs de l'humanisme.

L’humanisme, qui est cette attitude philosophique qui met l'Homme et ses valeurs au cœur de ses questionnements.

 

 

Parce qu'on m'a fait attendre le jour de mon arrivée sans m'en expliquer les raisons ni s'en excuser, des heures dans une salle d'attente, par ailleurs richement dotée en revues fraîches, il me faut bien l'admettre...

Parce que sous le coup de ce désagrément et de la légitime angoisse qu'on peut ressentir dans pareille situation, c'est à dire l'arrivée dans un service "lourd", j'ai eu ensuite le sentiment qu'on m'infligeait les examens d'entrée de façon impersonnelle.

Parce que j'ai mal vécu que, dans ce contexte, sous couvert de s'intéresser à moi, l'on m'interroge d'une manière que j'ai trouvé irrespectueuse sur ma vie privée.

Je revendique le droit d'être énervé.

Parce que je suis un être unique, avec une éducation, un vécu, une sensibilité qui n'appartiennent qu'à moi, ainsi que tous les autres êtres humains, je revendique le droit d'avoir des réactions émotionnelles qui s'écartent de ce qu'on appelle "la norme".

 

Je ne puis accepter qu'on me mette d'autorité sous Tranxène sous prétexte que je sois énervé, sans avoir obtenu préalablement mon consentement éclairé, ce qui, aucun soignant ne peut l'ignorer, est une faute qui tombe sous le coup de la loi.

Certains esprits forts rétorqueront que le Tranxène est aussi un puissant anti-émétique.

Je ne l'ignore pas.

Outre le fait que même un anti-émétique nécessite le consentement éclairé du patient avant que d'être utilisé, on ne m'ôtera pas de l'esprit que se sont plutôt les qualités anxiolytiques qui ont présidées chez moi à son autoritaire administration.

En un mot, il s'agit avant tout d'un tranquillisant.

Ceci s'appelle une camisole chimique.

Je ne puis tolérer qu'aucun soignant de cette équipe n'ait eu la loyauté de s'insurger contre cette manœuvre. La loyauté entre soignants étant cette capacité d'avoir le courage de dire haut et fort : le devoir de respecter la dignité de l’être humain m’interdit d’accepter cette pratique.

Ceci s'appelle au mieux de la peur ou de l'ignorance, au pire de la déloyauté, voire de la complicité.

Je revendique absolument que soient respectés mes droits d'être humain.

Le droit de vivre mes émotions.

Le droit d'être informé.

Le droit de choisir de me soigner ou pas.

Le droit de vivre ou de mourir.

Je m’efforce pour ma part, quand je suis dans le rôle du soignant, d’avoir la loyauté de traiter les patients avec au moins autant d’égards que j’apprécierais qu’on en eût pour moi-même. C’est une rude discipline, que m'ont appris les traumatisés crâniens avec lesquels je vis au sein de l'unité d'éveil de coma où j'exerce.

Il ne faut guère s’attendre à beaucoup de gratitude de la part des patients. La gratitude trouble toujours ma pudeur de soignant.

Être soignant n'est pas un métier.

C'est une vocation.

C’est lorsque l’on se croit expérimenté, qu’on est sûr d’avoir la raison dans son camp, qu’on veut l’imposer, qu’on devient mauvais.

Dès que le doute vous quitte, vous sombrez irrémédiablement au mieux dans la catégorie des cons et des incompétents, au pire dans celle des salauds et des fachos.

Ou alors il arrive que le contact avec la souffrance des patients devienne trop pénible.

On sombre dans l'hyper-technicité pour se protéger de cette douleur.

Pour ne pas pleurer avec eux.

J'ai aussi connu ce phénomène.

Les soignants souffrent beaucoup.

Les « soi-niants ».

Plus encore que les autres membres de l’humanité ils sont mes frères et mes sœurs. Parce qu’il y a dans nos cœurs comme un rythme commun, une sorte d’inexplicable tempo.

Et d’intimes blessures.

Enfin, par dessus tout, je revendique mon droit absolu à la liberté d'expression.

Aussi, le "connes masquées" que j'ai pris la liberté d'utiliser et qui m'attire tant de foudres me semble presque affectueux après ce que je viens d'exposer.

Les cons ça ne doute pas, ça ose tout; c’est même à ça qu’on les reconnaît, disait Audiard, je crois.

 

 

 

 

 

Je constate, au courage que V. a de se présenter de telle manière, que sa franchise a le pouvoir de compenser la maladresse avec laquelle elle m’a abordé le jour de mon arrivée. Il y manque juste la salvatrice pointe d’humour qui eût totalement sauvé la mise, mais nul n’est parfait.

On ne s'en dira pas plus sur ce sujet. Voilà qui aura suffi à clore l'incident. Il semble qu’on se soit compris, au moins partiellement.

Le reste de mon séjour se déroulera avec plus de fluidité...

 

J’avais, avant d'y entrer, une vision résolument optimiste de ce « temps mort » en soins intensifs. J’espérais en faire un « temps vie ».

J’occuperai agréablement mon temps à la lecture et à l’écriture, pensais-je.

J’avais simplement négligé le fait que mon temps serait entièrement occupé à être malade.

Très malade.

Que mon esprit serait indisponible.

C'est de retour chez moi que j'écris ce post, avec la désagréable sensation d'être une sorte de délateur, un cracheur de soupe, une balance.

Mon triste cœur bave à la poupe,

Mon cœur couvert de caporal...

Je reprends du coup le tabac avec fureur, allumant des cigarettes piquées à Caro sur la terrasse en bois qui domine Rouen.

Que voulez-vous, je préfère le tabac au Tranxène ou au Valium. J'ai tort, je le sais.

Ce n'est qu'après quelques heures d'hésitations que je parviens à me convaincre que je suis moi-même victime de l'illusion qu'il faut se serrer les coudes entre membres de la même corporation.

C'est faux.

Il faut se serrer les coudes avec l'ensemble de l'humanité.

 

 

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