Elles me demandent d'ôter mon PETIT tee-shirt pour mettre le PETIT patch d’Emla en place et faire le PETIT électrocardiogramme.
Ces deux connes masquées sont en train de me parler comme à un débile.
J'ai été convoqué à 10H00, pour apprendre que la chambre ne serait prête qu'à 14HOO.
Vous pouvez aller déjeuner en ville, si vous voulez.
Une façon polie de nous envoyer nous faire foutre.
A 1OH3O, après la prise de sang et la radio, on se retrouve avec Caro devant Becquerel. Je suis furieux.
Je m’arrête quelques minutes à la guérite de l’hôpital de jour pour saluer Diadié, le gardien.
C’est un mauritanien, grand et mince. On est du même âge, mais il n’a pas une seule ride.
On se connaît depuis quelques années, c’est un de mes anciens patients.
Je serre sa main qui a gardé des séquelles de sa tumeur médullaire.
Comment tu vas?
Il connaît ma situation, je passe lui dire bonjour à chaque fois que je viens à Becquerel.
Je lui explique que je rentre aux soins intensifs l’après-midi même pour la greffe. On bavarde un peu
N’oublie pas, me dit-il, alors que je m’apprête à le laisser, l’important, c’est le moral.
C’est bien ce que tu me disais, non?
On marche, en silence, jusqu'à la place St Marc. Les rues sont presque vides. J’y vois très mal à l’extérieur. L’espace paraît trop vaste.
Hier soir, au cinéma, j’ai dû ôter mes lunettes. A cette distance j’y voyais moins mal sans lunettes. C’était un film policier vaguement ésotérique, pas trop ennuyeux. Un peu quand-même.
Pendant ce temps, Fred et Jean-Jacques aidaient Caro à déménager les meubles et démontaient la hotte de la cuisine pour que les peintres puissent commencer les travaux dès le lendemain. J’avais préféré ne pas être là. Pas envie de parler. C’était pour ça, le ciné.
Après le film, j’ai marché seul dans la foule. J’ai fait plusieurs fois le tour de la galerie marchande, lentement. C’était trop tôt pour rentrer.
Je me suis attablé dans un petit café, dans la rue piétonne. Il y avait quelques habitués au comptoir, qui buvaient des bières. Je les ai écouté se raconter leurs vies sans importance. Les difficultés pour se faire rembourser les dégâts d’un accident de moto par l’assurance. La fille aînée qui va se marier. La nouvelle friteuse, en cuisine, que le cuistot est parti essayer.
L’un d’entre eux était un homme de petite taille. Pas un nain. Un type très petit.
Il se faisait plaisanter par les autres, avec gentillesse.
Avec toi, au moins, on peut rigoler, dit un des rieurs en faisant signe au patron de leur remettre un verre. C’est pas comme avec ton frère.
Grincheux?
Ouais, tout le monde l’appelle grincheux.
Le cuistot arrive du fond du café avec un plateau. On va les goûter, ces frites.
Il fait une distribution dans des soucoupes. Pas mauvaises.
Rentre à la maison, dis-je à Caro.
Elle ne veut pas.
On pourrait aller déjeuner au resto...
Pourquoi ne comprend-elle pas que je veux être seul?
On marche encore. Elle me suit. Je m'arrête face à la voiture.
Rentre, dis-je encore.
Je l'embrasse à la va-vite et je la plante là.
Elle me rattrape quelques mètres plus loin.
Laisse-moi, maintenant.
Je pars sans me retourner.
Il me faut deux heures pour épuiser les magazines de la salle d'attente de l'unité de soins intensifs. Vers 13HOO je sors. Je m’arrête dans le premier bistrot venu, où je mange je ne sais quoi. Je bois une bière, je fume trois cigarettes d’affilée.
Je ne parviens même pas à m’intéresser aux autres clients.
Pas de café. Juste l’addition. Il faut que j’y retourne.
La chambre est tout à fait ordinaire. C’est une chambre d’accueil. L’isolement est pour vendredi. Je vois le ciel. J’entends très bien le chantier, juste sous moi.
Naturellement, mon PC ne détecte aucun réseau sans fil, ce qui décuple ma colère.
Au moment où l’animatrice entre dans ma chambre pour m’aider à me connecter, elle se fait éjecter par l’infirmière accompagnée d’une stagiaire.
Il faudra essayer de ne pas parler pendant l’électrocardiogramme…
Le PETIT électrocardiogramme.
La consigne ne concerne que moi. Ces deux connes, elles, ne s’en privent pas.
Elles découvrent leur nouvel appareil, commentent longuement le système de fixation des électrodes -bien mieux que l’ancien système à ventouses-, se remémorent le moyen mnémotechnique pour placer les dites électrodes, s’extasient devant le menu qui leur demande d’entrer le nom du patient. Elles parlent de choses et d’autres. Évoquent des anecdotes. De temps en temps, elles me demandent vaguement si ça va, en prenant mon pouls et ma tension.
Enfin elle partent.
Ma chambre devient une espèce de lieu de rendez-vous.
L’animatrice d’abord qui résout mes problèmes informatiques, puis la surveillante de l’unité, et une visiteuse hospitalière que je me rappelle avoir déjà vu lors d’une précédente hospitalisation.
L’interne enfin.
Ma colère est à peine retombée quand revient l’infirmière masquée accompagnée de sa stagiaire.
Cette fois, il s’agit de brancher la perfusion sur la chambre implantée.
Tout en déballant son matériel, elle commence à m’interroger sur mon métier, ma vie privée.
Je finis par lui dire que je ne souhaite pas parler de ça. Ni de quoique ce soit d’autre.
Un peu vexée, elle termine sa tâche en silence.
Le soir même, je suis mis sous Tranxène.
Pour vous aider à vous détendre, me dit une autre infirmière en effectuant les réglages de la seringue auto pulsée.
Je suis tellement abruti que je ne parviens plus à aligner deux phrases.
Je peux passer une heure à lire et relire sans cesse le même paragraphe.
Le mieux est de dormir en attendant la chimio de demain.