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28 janvier 2007 7 28 /01 /janvier /2007 00:00

Le samedi soir, on a fêté les dix-huit ans de Camille.

Martine est arrivée avec un énorme gâteau, des chocolats, une boîte de personnages Duplo pour Antoine et un quart d'heure de retard, comme on l'avait prévu Camille et moi en rigolant. Rien de grave.

Camille s’est vue offrir par sa mère la peau de vache dont elle rêvait depuis longtemps pour son appartement, ainsi que le catalogue des oeuvres d’Andy Warhol.

Caro et moi, on a préféré lui faire des chèques.

J'ai ouvert le Moët & Chandon, laissant par superstition au fond de la cave la bouteille de château d'Yquem que je garde depuis plusieurs années pour ce genre d'occasion.

Peut-être la boirons-nous pour ses vingt ans.

Très heureux de la présence de la maman de Camille, Antoine était en pleine forme malgré son otite et ses 39°5. C'est un peu mystérieux pour lui que sa sœur ait une autre maman, mais pas vraiment un problème. Il l’adopte immédiatement. Maintenant il sait avec qui est sa sœur lorsqu’elle n’est pas avec nous.

Il lui fait du charme, lui offre des toasts au foie gras, grimpe sur ses genoux.

Incroyable, cette ressemblance entre frère et sœur, dit Martine en lui passant les doigts dans les cheveux. Le nez, les yeux, enfin la forme, pas la couleur.

Camille a mes yeux bleus, Antoine les yeux marrons de son grand-père.

Incroyable cette soirée en compagnie de ma femme et de mon ex-femme, et des enfants qu'elles m'ont donnés. J'ai l'impression que je ne leur ai pas mené la vie facile. On dirait une réunion d’anciens combattants. En tous les cas, elles ne sont pas rancunières. Il est vrai que les circonstances jouent en ma faveur.

J'avais pris du Topalgic pour calmer les douleurs osseuses occasionnées par les injections de Granocyte 34 qui commençaient à se faire pénibles, et un peu de Xanax au cas où. Quelques verres plus tard, ça commençait à aller pas trop mal. J'ai arraché mon patch de nicotine pour fumer quelques cigarettes.

On a bavardé en évitant les éventuels sujets de conflit. Pas très difficile entre personnes bien élevées. On a même rit plusieurs fois, je ne sais plus à quels propos.

Camille était heureuse.

On a fait les photos traditionnelles, elle a soufflé ses dix-huit bougies.

J'ai essayé de me rappeler mes dix-huit ans en regardant le café couler, aucun souvenir n'est remonté à la surface.

 

Le lendemain, on est tous fiévreux.

On tousse, on crache, on a mal à la tête.

Ca fait une bonne demi-heure que je regarde pensif le fond d'écran de mon PC.

J’ai pris la photo cet été dans un cimetière de marin situé sur la Rance.

Le bateau de pêche est échoué dans la vase caillouteuse du fleuve. Il penche de trente degrés à bâbord, maintenu par une série de frêles étais qui parviennent comme par miracle à lui préserver encore un peu de dignité dans l’allure, malgré la putréfaction qui gangrène sa coque de bois. Il me fait penser aux toiles de Dali. A l’avant, une barque décharnée dont il ne reste que le squelette spongieux finit de pourrir inexorablement, tandis qu'au loin quelques blancs esquifs aux voiles gonflées filent au vent.

C'est à ce moment là de ma rêverie que retentit la tonitruante sonnerie de notre nouveau téléphone qu'on n'a pas encore réussi à modifier. Le mode d'emploi de cet engin est aussi épais que le bottin de la Seine Maritime, sa lecture tout aussi passionnante.

Je décroche pour faire cesser la cacophonie.

C'est Sophie. Elle ne doit pas s'attendre à ce que se soit moi qui réponde.

Il y a quelques jours déjà que je ne réponds plus au téléphone. A quoi bon servir à tous le même discours rassurant? Je ne suis déjà plus dans ce monde. Avant même d'y pénétrer, la bulle s'est construite autour de moi. Déjà elle m'isole. La rumeur de l'extérieur ne me parvient plus qu'étouffée. L'image du monde s'estompe. Je m’étonne qu’on s’obstine encore à tenter d’entrer en communication avec moi. Je n’aspire plus qu’au silence.

Il y a quelques secondes de flottement pendant lesquelles je n'ai pas la présence d'esprit de lui passer sa sœur.

Oui, ça va... J'attends la greffe...

C'est ça, un mois au moins en isolement. Ensuite, probablement une deuxième greffe deux mois plus tard...

Elle doit déjà savoir tout cela par Caro, les détails, les délais. Mais il faut répéter et répéter encore. C’est le rite de l’échange social. Une façon de faire part de sa compassion. Une façon de ne rien se dire.

On passe l'essentiel de sa vie à se parler sans rien se dire. On dit des mots. On utilise des formules toutes faites. On fait mine de s'intéresser à la vie de l'autre. On lui fait croire qu'on le tient pour quelqu'un de fréquentable.

La vérité, c'est qu'on flaire les tares, les obsessions, les failles.

La vérité, c’est qu’on juge.

 

Après les greffes?

Sophie ne me pose pas la question. C'est moi-même qui réalise que ma pensée est devenue incapable de se projeter au-delà de quelques semaines. C’est d’un soulagement appréciable.

Cela peut passer pour du courage. C’est faux.

Je ne suis pas courageux.

J’ai peur de la souffrance.

J’ai peur de lire l’inquiétude croissante sur le visage des miens.

Je ne suis pas courageux.

Je n'ai pas d’autre choix que d’être une sorte de pantin docile dans les mains des médecins, ou de refuser de me soigner.

Va pour le pantin.

Pour le moment.

 

Lundi après-midi, l’infirmière me pique à chaque bras en met sa machine en marche. Encore trois heures sans bouger pendant qu’on m’extrait un complément de cellules souches. J’en sors trop tard et trop chancelant pour rejoindre Caro et Antoine qui sont chez le psy.

Antoine se réveille la nuit. Il fait des cauchemars. Il parle beaucoup de la mort. A l’école, on le trouve agressif.

Caro a jugé bon de prendre conseil auprès d’un spécialiste.

Le téléphone sonne juste comme je rentre à l’appartement.

Je pense que c’est elle qui m’appelle. Pas du tout. C’est la surveillante de l’unité de soins intensifs.

Elle m’annonce mon entrée dans l’unité le 30 janvier.

On m’avait dit le 29...

Je lui fait répéter pour être sûr d’avoir bien compris.

C’est bien ça, mon admission est de nouveau reportée d’une journée.

Lassé, le pantin raccroche.

 

1995

Les femmes et les enfants sont couchés. Paul et moi on a décidé de venir à bout du fond de cette bouteille de cognac.

Tu ferais quoi, toi, si tu savais que tu n’as plus qu’une semaine à vivre?

Je prendrai un crédit....

Je ne sais pas, moi. Une semaine, un mois, un an, ça change quoi?

De combien de temps faut-il disposer pour rattraper toutes ses erreurs? Et d'ailleurs à quoi bon?

Moi, je crois que je ferai la grasse matinée tous les jours.

Je resterai carrément couché toute la semaine, avec quelques bouteilles de grand cru, en jouant des trucs gais à la guitare.

Du Brassens, du Boris Vian.

Le matin du dernier jour, je prendrai une douche, je mettrai mon beau costume, et j'irai au resto avec tous mes potes.

A la fin du repas, quand on aurait bien mangé, bien bu, bien chanté, j'irai m'allonger dans le cercueil qu'on aurait dressé là, à l'entrée. J'aurai envie de dormir. Les convives partiraient par petits groupes joyeux. En passant devant moi, ils me feraient signe au revoir de la main. Je leur répondrai de même….

T'as une meilleure idée?

Non, comme ça, c'est super.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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commentaires

B
je pense fort a toute la famille!<br /> on attends des nouvelles "de l'interieur",de ta traversé de l'atlantique en solitaire et sans escale<br /> forza!
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N
Personne ne te demande d'avoir du courage ni même de donner le change.Encore moins d'imaginer ta sortie;<br /> Simplement d'être,ici et maintenant.<br /> Dehors on t'attend.
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