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8 novembre 2006 3 08 /11 /novembre /2006 00:00

Lundi 06 novembre 2006, 10H45

Je fume un cigare sur la terrasse, le brouillard refuse de se lever et va sans doute persister sur Rouen toute la journée, poissant les murs de la ville de gouttelettes d’eau grasse.

Je sursaute car on sonne . Déjà!

L’ambulancière est en avance. J’arrive, je vais tenter de descendre seul, chargé de la sacoche du portable, et d’un sac « les trois J » qui contient mon recueil d’urine des dernières vingt-quatre heures (deux litres et demi, pas mal ).

J’arrive un peu essoufflé, on charge le coffre du Picasso. On échange les quelques mots de convenance, sa fille qui est repartie à Forges au pensionnat, son compagnon qui a repris le camion ce matin à cinq heures. Tandis que je cherche mon bon de transport elle me demande vers quelle heure il faudra venir me rechercher. Je vous appellerai, je dois aussi passer une IRM cardiaque au CHU à seize heures trente. Ça roule pas trop mal, à cette heure, mais la circulation est toujours aussi chaotique aux abords de Becquerel. Elle doit se garer en double file pour me laisser descendre. Signe de la main, je passe les portes automatiques.

Maintenant, j’ai l’habitude. On fait comme à la poissonnerie de Carrefour. On prends un ticket au distributeur automatique à la droite de l’accueil, puis on va attendre sur les sièges des teufeurs de l’autre jour. L’attente est courte, les préposés courtois.

Feuillet à la main, cloche de protection au minimum ( le couloir est curieusement praticable ce matin ), j’emprunte l’ascenseur jusqu’au premier.

Seule une femme âgée dans un fauteuil roulant semble endormie dans la salle d’attente. Un léger tremblement anime son menton, comme si elle acquiesçait à tout ce qui lui arrive. Je donne ma feuille, mes bocaux, et vais m’asseoir, fatigué.

L’infirmière emmène la vieille dame pour effectuer les prélèvements, elle ne bronche pas, elle continue d’acquiescer sans fin.

J’ai renoncé à lire dans ces lieux inhospitaliers que sont les salles d’attente. Ma vision est devenue assez mauvaise, l’écran de PC me convient mieux. Des revues datant de plusieurs mois, pétries de milliers de mains, aux pages arrachées ( les recettes de cuisine font un gros succès, parfois un article dont on a lu le titre dans le sommaire a disparu ), jetées là, sur une table basse destinée à créer l’illusion de l’intimité du salon familial, gisent parmi les publicités périmées et les journaux gratuits caduques. On a l’impression de fouiller avec dégout dans le bac bleu des matières recyclables. Je préfère somnoler en écrivant mentalement quelques phrases de mon post du jour, les yeux fermés.

C’est mon tour. Je connais l’infirmière, mais elle s’étonne quand-même de la lenteur avec laquelle s’écoule mon sang noir et épais dans ses tubes aux bouchons multicolores.

Je me fais expliquer le raccourci qui mêne à l’hôpital de jour dont j’ai pressenti l’existence.

Inutile de repasser à l’accueil, je me rends directement au bureau de la surveillante.

Bonjour, Monsieur Nicolle, elle répond au téléphone tout en consultant son écran. C’est un myélogramme qui est prévu aujourd’hui, n’est-ce pas? Je hoche la tête. J’ai une faveur à vous demander, lui dis-je.Elle raccroche, je vous écoute.

J’explique que je dois passer cette IRM au CHU en fin d’après-midi, et lui demande l’autorisation d’attendre à l’hopital de jour. J’ai même emporté mon PC pour pouvoir travailler en attendant. Elle est d’accord, mais je ne pense pas que l’on pourra vous donner une chambre, fait-elle en hochant de la tête en direction de la salle d’attente. En effet, c’est bondé. Seule un dernier fauteuil reste disponible au seuil, de son bureau. Je la remercie et vais m’installer.

Beaucoup de femmes ayant passé la soixantaine, certaines accompagnées de leur mari ou de leur fille, d’autres seules, résignées, quelques hommes, seuls en majorité. Un jeune homme au look sportif me fait face. Il a perdu tous ses cheveux, mais la mode est au crane rasé. Il trépigne sur place en expliquant à son voisin que cela fait déjà presque deux heures qu’il attend. Ça promet. Je ferme les yeux et plonge dans un semi sommeil, l’ouie seule aux aguets, ressentant parfois le léger souffle du déplacement d’air occasionné par le passage silencieux des membres du personnel qui va et vient, captant à l’occasion les maigres conversations.

Impossible de savoir combien de temps ça dure. Depuis la maladie, je vis dans un autre espace-temps. Je mets le matin ma montre par habitude, mais je ne pense à la consulter que lorsque je sais que je dois me rendre à un rendez-vous. L’univers s’est rétréci aux quatre-vingt cinq mêtres carrés de notre appartement, je n’ai d’autre emploi du temps que celui de ne pas me laisser engloutir dans les eaux sombres par les moyens de mon choix.

On appelle mon nom.

Je reprends contact avec la réalité. C’est une jeune externe. Bonjour, Monsieur fait-elle en me tendant la main, je suis étudiante en médecine, voulez-vous bien venir avec moi afin que je vous interroge? Je la suis jusqu’à un cabinet de consultation.

Je commence à me déshabiller, mais elle m’arrête. On va parler d’abord un peu.

Classique interrogatoire, puis examen standard. Elle est douce et calme, elle connais déjà mon dossier. Bien, fais-je à l’issue de son bilan, on passe au myélogramme? Pas maintenant, répond-elle, il faut d’abord que l’on reçoive vos résultats, ça ne devrait pas tarder. Est-ce vous qui allez me le faire? Je ne sais pas encore, répond-elle franchement. Ce sera le première fois, n’est-ce pas? Elle marque un temps d’hésitation, puis acquiesce, désolée. Je la rassure. Ne vous inquiétez pas, dis-je . J’ai l’habitude, ce n’est pas un examen très douloureux. On ne sens quasiment rien à la piqure, c‘est l’aspiration qui est désagréable quand elle est faite trop rapidement. Je sais, on lui a expliqué, elle a un petit sourire, de voir que je prends les devants. Je vais voir si vos résultats sont arrivés. Avant de sortir elle me pose un patch d’Emla sur la partie supérieure du sternum.

Elle revient quelques minutes plus tard accompagnée d’un femme en blouse blanche aux yeux qui sourient, on sent que c’est chez elle un état d’esprit naturel, au contraire de certains soignants qui adoptent une attitude standardisée, des expressions toutes faites, des intonations de voix récurrentes. Elle se présente comme le Dr T., je n’ai pas bien compris son nom, j’ai toujours eu du mal à assimiler les noms de famille.

Elle est attachée à l’hopital de jour. Je lui explique la difficulté pour les patients, enfin ma difficulté à construire une relation avec un pool de médecins. Elle prends le temps de bavarder. On s’explique sur ce thème, j’ai besoin de sentir que je suis perçu comme un être individualisé, et non comme un acte à commettre, elle a bien compris cela dans le non-dit de notre échange et me l’accorde avec générosité. C’est une bonne professionnelle.

On passe à l’acte après ce temps préparatoire.

Injection de xylo, ça pique un peu, puis léger craquement osseux, l’aiguille est fichée dans mon sternum, je n’ai rien senti. Elle aspire si lentement que j’ai à peine le temps de réaliser que c’est terminé.

Pansement à garder vingt-quatre heures, elle insiste.

Ses yeux sourient toujours, les miens aussi.

J’en profite pour lui demander la faveur d’un petit coin où brancher mon PC pendant mon temps d’attente de cet après-midi.

Ici, vous pouvez vous installer dans ce cabinet de consultation, nous n’en aurons plus besoin pour aujourd’hui. Je la remercie.

Je rejoins la salle d’attente où deux aides soignantes poussant un chariot d’inox demandent qui veux prendre un repas. Je les suis jusqu’à une petite salle où les consultants peuvent déjeuner.

Trois table sont dressées dans une petite pièce. Je m’installe à celle qui me fait face, qui est déjà occupée par trois femmes qui chipotent du bout de leurs fourchettes dans un riz gluant de sauce à la recherche d’un bout de volaille. Silence pesant. J’avale ma cuisse de poulet et vais me prendre un café sans sucre au distributeur.

Dehors, assis sur les marches carrelées de l’hopital de jour, je savoure un cigare.

Je suis obligé de débrancher la prise de la table d’examen électrique pour y connecter mon PC.

Je suis installé à un petit bureau de métal gris, face à la fenêtre crasseuse qui donne sur la rue où défilent les bus et les piètons qui vont déjeuner eux aussi de leurs pas pressés.

Microsoft Works.Ink, ce PC met un temps infini à s’installer, sans compter que Works plante si régulièrement, m’avalant à chaque fois des lignes et des lignes de texte, que je fini par cliquer plus souvent sur la touche « enregistrer « que sur celles du clavier (clic, je le fais à l’instant), mais parfois j’oublie, et mes mots disparaissent à jamais (reclic).

J’écris un post que j’intitule «  pension ». Pas terrible, ce titre, je suis d’habitude plus inspiré.

Mais la qualité s’améliore. Tous ces posts que j’écris apparemment à tort et à travers, comme je ramasse les pièces du puzzle de ma vie, sont le premier jet d’un roman que je vais intituler «  sang d’encre « . Pour le coup, je suis particulièrement fier de mon titre. Mes lecteurs assistent en live au processus de création littéraire. Je me demande pourquoi ils ne sont pas plus nombreux à cliquer sur le bouton «  recommander » situé à la gauche du texte pour aider à ma diffusion, ou sur le bouton «  s’inscrire à la news letter » situé à la droite du texte, pour être avertis de la parution du post du jour. Chaque matin je me rends sur over-blog pour y lire mes statistiques. Merci à vous de votre fidélité.

15H30, je referme le PC.

Le temps de prendre connaissance de mes taux ( 9,3 d’hémoglobine, 104 de protéines), je me fais expliquer le chemin pour aller jusqu’à l’anneau central du CHU.

Je m’y rends à petits pas, marquant des pauses, le souffle court.

En chemin je rencontre Rosa, qui a déjà croisé mon chemin il y a une dizaine de jours alors que je fumais un midi devant Becquerel. Elle est chef de clinique au CHU. On se connaît bien. Elle emmène sa fille chez le médecin. La petite est magnifique, blonde aux yeux bleus, la peau mate, tout le portrait de sa mère me dit Rosa, qui est brune aux yeux noirs.

J’arrive enfin à l’entrée du CHU où je prends un nouveau ticket de poissonnerie.

Pas d’attente. On me fait ma « liasse » en un tour de main.

Je prends le temps de boire un Pepsi et de fumer un cigare avant d’aller m’échouer dans la salle d’attente de l’IRM.

 

 

 

 

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commentaires

J
Mon cher frère,<br /> Excellent titre celui que tu as choisi et excellente idée de transformer ce blog en future oeuvre littéraire.<br /> Je suis peut-être partial (même pas sûr!) mais je trouve que tant le style que la forme sont agréables à lire. Je te ne cacherai pas que le fond m'importe davantage, mais là, je suis de parti pris!<br /> Personnellement - comme d'autres sans doute - je ne me suis pas inscrit à la newsletter car je consulte le blog au minimum une fois pas jour, souvent 2... et ma boîte aux lettres et déjà tellement encombrée!<br /> J'ai trouvé des réminiscences de Frédéric Dard dans certaines de tes descriptions, qu'en pensent les autres?<br /> Affectueusement,<br /> Jean-Jacques
Répondre
J
Je trouve aussi que je m'améliore, mais tout cela est fluctuant et demande beaucoup de travail...Et j'ai encore beaucoup de progrès à faire.<br /> Un "lecteur" m'a aussi parlé d'Audiard ( auquel je fais clairement référence ).<br /> En fait, "tout" sort assez spontanément, sans recherche stylistique, et est retravaillé ensuite. J'ai un ou deux posts d'avance en écriture, des fragments à droite à gauche, des notes.<br /> Je t'embrasse.